Reportage paru dans le n°45 de Décisions durables.
L’Association Zero Waste France a ouvert au mois d’octobre, dans le 12e arrondissement de Paris, la Maison du zéro déchet. Un lieu de rencontre, d’initiation et de partage pour repenser nos modes de consommation.
J’ai rendez-vous à 18h avec Manon Cuillé, responsable de la programmation professionnelle de la Maison du zéro déchet, avant d’assister à un atelier d’initiation au zéro déchet une heure plus tard. La nuit commence à tomber. Ce sera bientôt le couvre-feu. Je suis un peu en avance alors je flâne quelques instants dans la boutique zéro déchet, à l’entrée. On y trouve tous types d’articles : des couches et des protections menstruelles lavables, des cotons bio réutilisables, du dentifrice et de la mousse à raser solides, mais aussi des gourdes, thermos ou livres pour se documenter. Passé la boutique, sur la gauche, un café associatif dont quelques tables sont occupées. La population est plutôt jeune, féminine, et aisée. Manon est arrivée.
Genèse
Nous nous asseyons un moment à une table du café et elle me raconte rapidement la genèse de ce lieu.« C’est en fait le deuxième lieu que nous investissons. Nous étions auparavant, depuis 2017, dans le 18e arrondissement. À travers les festivals Zero Waste que Zero Waste France avait réalisés sur tout le territoire, nous avions senti un engouement fort, et ce de la part de tous les acteurs, pour la démarche zéro déchet. De là est née l’idée de créer un endroit permanent et dédié, qui serve à la fois de lieu de ressources, de rencontres, et de pédagogie. » Au-delà de la boutique et du café, la Maison zéro déchets propose ainsi de nombreux événements et ateliers pratiques que ce soit pour apprendre à fabriquer sa propre lessive, réparer des objets électroniques, coudre ou composter.
Tous publics
Je fais remarquer à Manon la relative homogénéité socio-économique des gens qui nous entourent et lui demande, un rien provocateur, si la démarche zéro déchet ne serait pas, avant tout, un truc de bobo. Elle ne s’en offusque pas : « C’est vrai, en partie. C’est certain que c’est une population davantage sensibilisée. Mais nous voulons sortir de ce carcan. Tout d’abord en ayant une vraie implantation locale. Il y a par exemple, dans la caserne Reuilly où est située la Maison zéro déchets, des logements sociaux. Nous sommes en train de travailler pour voir comment les sensibiliser et les engager dans la démarche. Nous mobilisons aussi les commerçants du quartier pour qu’ils mettent en place des actions concrètes. Enfin, nous proposons des programmes de formation pour les entreprises dans le cadre de leurs politiques RSE. Le zéro déchet nous concerne tous. » Car si faire des économies n’est pas le premier déclencheur d’une telle démarche, c’est un de ses corollaires, qui peut être particulièrement intéressant pour les populations les plus défavorisées.
Prise de conscience
Zéro Waste France compte aujourd’hui plus de 130 antennes locales qui participent à diffuser ses préceptes. Signe d’une prise de conscience, à tous les niveaux de la société et du territoire. « Ce qui est intéressant, et ce pourquoi un lieu comme la Maison du zéro déchet faisait sens, m’explique Manon, c’est qu’on se rend compte que la transition au niveau des pratiques personnelles a ensuite un effet boule de neige d’abord sur l’entourage, puis sur l’ensemble des acteurs du territoire, au sens large. » Car si le terme « zéro déchet » peut faire peur par son radicalisme et l’ampleur de la tâche à accomplir, cela commence avec des petits gestes simples qui en entraîneront d’autres, jusqu’à ce qu’on finisse par se prendre au jeu. Parmi les premières actions, Manon cite notamment : « mettre un autocollant Stop Pub sur sa boîte aux lettres – cela peut sembler rien, mais chaque foyer reçoit en moyenne 40 à 50 kg de prospectus chaque année –, toujours avoir sur soi un sac en tissus, une gourde, acheter moins mais mieux… »
Freins
Si les pratiques se développent donc et que la société est de plus en plus sensibilisée à la question des déchets, Manon relève deux freins principaux :
la réglementation, pas assez stricte avec les entreprises pour les pousser à innover dans ce domaine ;
des services mal répartis sur le territoire : s’il est relativement aisé d’acheter en vrac ou d’avoir accès à une ressourcerie à Paris, ce n’est pas le cas partout.
« Nous sommes encore dans une société du tout jetable, de l’usage unique, de l’obsolescence programmée », regrette Manon. « Pourtant, des solutions alternatives existent. » Justement, l’atelier d’initiation au zéro déchet est sur le point de commencer.
Montagne de déchets
Je prends place au fond de la salle. Tous les sièges ou presque sont déjà occupés. Je suis surpris de voir autant de monde – une trentaine de personnes – un soir de semaine, en pleine épidémie et sous la contrainte d’un couvre-feu. Une mère va s’installer avec ses deux enfants d’une dizaine d’années sur les quelques chaises qui restent et l’atelier commence. « Combien d’entre vous ont déjà engagé une démarche zéro déchet ? », demande l’animatrice avant de commencer. Tous ou presque lèvent la main. C’est un public d’initiés. Satisfaite, l’animatrice poursuit en faisant défiler des slides témoignant de l’étendue du problème, avec des chiffres qui donnent le tournis :
le coût annuel des déchets en France : 23,7 milliards d’euros ;
la quantité de déchets produit chaque année par un Français : 568 kg.
Elle introduit aussi une nouvelle terminologie, comme celle de « sac à dos écologique », qui concerne tous les déchets indirects. Ainsi, il faut 2 000 kg de matières premières pour fabriquer une bague en or ; 30 kg de matières premières et 7 000 litres d’eau douce pour fabriquer un jean.
Les limites du recyclage
Or, face à des tels chiffres, le recyclage ne suffit pas : « Il nécessite pas mal d’énergie et, au final, on ne peut recycler que très peu de chose. Et puis cela nous détourne du noeud du problème : l’extraction, qui est la phase la plus impactante de la vie d’un produit », résume l’animatrice. Dans la démarche zéro déchet, le recyclage n’arrive qu’en dernier recours, pour traiter ce qu’on ne sera pas parvenu à réduire, réutiliser ou transformer.
Solutions en vrac
Après nous avoir enfouis sous la montagne de nos propres déchets, l’animatrice nous tend la main pour nous proposer des solutions et produits pour changer petit à petit nos modes de consommation. Elle nous rassure toutefois : « C’est une démarche progressive. Pour qu’elle soit pérenne, il va falloir que vous trouviez de nouvelles habitudes, une nouvelle forme de confort et d’organisation. Avancez à votre rythme. » Et de décliner :
pour la cuisine : acheter en vrac, fruits et légumes moches, doggy bags, cuisiner les restes, passer les déchets organiques au compost ;
pour la salle de bains : brosses à dents en bambou ou à tête amovible, déo, shampooing et dentifrice solides ;
pour l’hygiène féminine : cup, serviettes, culottes en tissu lavable ;
pour les vêtements : acheter moins, échanger, emprunter, donner ;
pour Noël : sapin alternatif zéro déchet à par tir de livres ou de branches, papier cadeau réutilisable…
Pas au point
C’est autour de ces solutions que l’assistance se montre la plus réactive. Une femme d’une quarantaine d’années témoigne : « Moi, le shampooing solide, c’est ma limite. J’ai essayé, ça m’a fait plein de pellicule, c’est pas possible ». Une autre : « Nous, on a essayé de fabriquer notre propre déodorant à la maison, mais c’est difficile de trouver le bon dosage, ça nous a brûlé la peau. » Ou encore : « J’ai essayé le dentifrice solide, mais j’ai dû arrêter au bout d’une semaine, je sentais que mes dents étaient sales. » Et enfin un autre, en plein dilemme existentiel : « J’ai des couverts plastiques qu’il me reste de précédentes fêtes chez moi. Je veux pas les jeter, mais du coup je peux pas m’en servir. Alors ça traîne dans mon placard… Je sais pas quoi faire. » Tout n’est donc pas encore tout à fait au point, même si la gamme et la diversité des produits proposés ne cessent de monter en quantité et en qualité. « Il faut tâtonner un peu pour trouver le produit qui nous convient, concède l’animatrice. Parfois c’est mieux d’acheter en vrac que de faire soi-même, de prendre des produits consignés que sans emballages… À vous de trouver la solution qui vous convient le mieux. »
Dans les règles
Je m’éclipse discrètement avant la fin de la conférence pour essayer d’assister à un bout de l’atelier qui a lieu à la même heure sur la menstruation zéro déchet. En ouvrant la porte, l’animatrice de l’atelier me dévisage :« L’atelier d’initiation, c’est en bas ». Quand je secoue la tête pour signifier que c’est bien à cet atelier que je souhaite assister, l’une des participantes intervient : « En même temps, ça ne lui ferait certainement pas de mal d’en apprendre un peu plus sur le sujet », provoquant les rires de la salle. Je m’assois en silence et le teint légèrement rougi pour regarder une démonstration d’utilisation de la Cup, une petite coupe en silicone lavable et réutilisable, qui se substitue aux tampons. À la fin de l’atelier, je vais parler avec les participantes pour en savoir plus de leurs motivations. Aline, la trentaine, qui s’était gentiment moquée de moi quelques instants plus tôt témoigne :
« C’est un non-sens, quand on y pense, toutes ces choses à usage unique dont on se sert chaque jour sans même y réfléchir une seconde. Plus qu’un nouveau mode de consommation, le zéro déchet nous invite à penser une nouvelle manière de vivre, un nouveau rapport plus intime aux choses. »
Je ne me suis pas encore converti au zéro déchet. Mais depuis ma visite, j’ai mis un autocollant Stop Pub sur ma boîte aux lettres, une petite voix m’interroge à chaque fois que j’ouvre la poubelle, et je travaille à l'élaboration d'un sapin zéro déchet avec ma fille.
Le feu d’une petite révolution couve sous mes déchets.
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